« Pourquoi faites-vous ce qui n’est pas permis le jour du sabbat ? »
(Lc 6, 1-5)
Un jour de sabbat, Jésus traversait des champs ; ses disciples arrachaient des épis et les mangeaient, après les avoir froissés dans leurs mains. Quelques pharisiens dirent alors : « Pourquoi faites-vous ce qui n’est pas permis le jour du sabbat ? » Jésus leur répondit : « N’avez-vous pas lu ce que fit David un jour qu’il eut faim, lui-même et ceux qui l’accompagnaient ? Il entra dans la maison de Dieu, prit les pains de l’offrande, en mangea et en donna à ceux qui l’accompagnaient, alors que les prêtres seulement ont le droit d’en manger. » Il leur disait encore : « Le Fils de l’homme est maître du sabbat. »
(...) Mais en attendant, toi qui te prétends saint, pourquoi permets-tu certaines choses ? Toi qui te dis Maître, pourquoi n’instruis-tu pas tes apôtres, avant les autres ? Regarde-les, derrière toi ! Les voilà, avec encore l’instrument du péché dans leurs mains ! Tu les vois ? Ils ont cueilli des épis, or c’est le sabbat. Ils ont cueilli des épis qui ne leur appartenaient pas. Ils ont violé le sabbat et ils ont volé. »
Pierre répond :
« Nous avions faim. Nous avons demandé logement et nourriture au village où nous sommes arrivés hier soir. Ils nous ont chassés. Seule une petite vieille nous a donné de son pain et une poignée d’olives. Que Dieu le lui rende au centuple, car elle a donné tout ce qu’elle avait et s’est contentée de demander une bénédiction. Nous avons marché pendant un mille, puis nous nous sommes arrêtés, comme la Loi le prescrit, et nous avons bu l’eau d’un ruisseau. Plus tard, au crépuscule, nous sommes allés à cette maison… Ils nous ont repoussés. Tu vois que nous avions la volonté d’obéir à la Loi.
– Mais vous ne l’avez pas fait. Il n’est pas permis, pendant le sabbat, de faire des travaux manuels et il n’est jamais permis de prendre ce qui appartient à autrui. Mes amis et moi, nous en sommes scandalisés.
– Moi, au contraire, je ne le suis pas, dit Jésus. N’avez-vous jamais lu comment David, à Nob, prit les pains consacrés pour se nourrir, lui et ses compagnons ? Les pains consacrés appartenaient à Dieu, dans sa maison, réservés par un ordre éternel aux prêtres. Il est dit : “ Ils appartiendront à Aaron et à ses fils qui les mangeront en un lieu sacré, car c’est une chose très sainte. ” Néanmoins, David les prit pour lui et ses compagnons parce qu’ils avaient faim. Or si le saint roi entra dans la maison de Dieu et mangea les pains consacrés le jour du sabbat, lui à qui il n’était pas permis de s’en nourrir – pourtant la chose ne lui fut pas comptée comme péché puisque Dieu continua encore après cela de lui garder son amour –, comment peux-tu dire que nous sommes pécheurs si nous cueillons sur le sol de Dieu les épis qui ont poussé et mûri par sa volonté, les épis qui appartiennent aussi aux oiseaux ? et tu refuses que les hommes s’en nourrissent, eux qui sont les enfants du Père ?
– Il avait demandé ces pains. Il ne les avait pas pris sans les demander. Et cela change tout ! Et puis, ce n’est pas vrai que Dieu n’a pas compté à David cet acte comme péché. Dieu l’a frappé durement !
– Mais pas pour cette raison. Pour sa luxure, pour son recensement, pas pour…, rétorque Jude.
– Oh ! Assez ! Ce n’est pas permis, voilà tout. Vous n’avez pas le droit de le faire, et vous ne le ferez pas. Allez-vous-en ! Nous ne voulons pas de vous sur nos terres. Nous n’avons pas besoin de vous. Nous ne savons que faire de vous.
– Nous allons partir, dit Jésus en empêchant ses disciples de répliquer.
– Et pour toujours, souviens-t’en. Que jamais plus Jonathas, fils d’Uziel, ne te trouve sur son chemin. Va-t’en !
– Oui, nous partons. Toutefois, nous nous retrouverons. Cette fois, ce sera Jonathas qui voudra me voir pour répéter ma condamnation et délivrer pour toujours le monde de moi. Mais ce sera alors le Ciel qui te dira : “ Il ne t’est pas permis de faire cela ”, et cette parole “ il ne t’est pas permis ” résonnera dans ton cœur comme une sonnerie de trompette pendant toute ta vie et au-delà. De même que, le jour du sabbat, les prêtres violent au Temple le repos sabbatique sans pécher, nous aussi, les serviteurs du Seigneur, nous pouvons recevoir amour et secours du Père très saint sans pour autant commettre de faute, puisque l’homme nous refuse l’amour. Il y a ici quelqu’un de bien plus grand que le Temple et qui peut prendre ce qu’il veut de la création, car Dieu a disposé toutes choses pour servir d’escabeau à la Parole. Et moi, je prends et je donne. Il en est ainsi des épis du Père servis sur l’immense table qu’est la terre, comme de la Parole. Je prends et je donne. Aux bons comme aux mauvais, car je suis la Miséricorde. Mais vous ignorez ce qu’est la miséricorde. Si vous saviez ce que cela signifie, vous comprendriez aussi que je ne veux qu’elle. Si vous saviez ce qu’est la miséricorde, vous n’auriez pas condamné des innocents. Mais vous l’ignorez. Vous ne savez pas non plus que je ne vous condamne pas, vous ne savez pas que je vous pardonnerai et que je demanderai même au Père de vous pardonner. Car c’est la miséricorde que je veux, et non le châtiment. Mais vous, vous ne le savez pas. Vous ne voulez pas le savoir. C’est là un péché plus grand que celui que vous m’imputez, que celui que, selon vous, ces innocents ont commis. Du reste, sachez que le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat, et que le Fils de l’homme est le maître même du sabbat. Adieu (...)
Jésus dit :
“L’œil humain ne peut fixer le soleil, tandis qu’il peut regarder la lune. L’œil de l’âme ne peut fixer la perfection de Dieu telle qu’elle est. Mais il peut regarder la perfection de Marie.
Marie est comme la lune par rapport au soleil. Elle en est éclairée et elle réfléchit sur vous la lumière qui l’a éclairée, mais en l’adoucissant de ces vapeurs mystiques qui la rendent supportable à votre nature limitée. C’est pour cela que, depuis des siècles, je la propose comme modèle à vous tous que j’ai voulus pour frères, justement en Marie.
Elle est la Mère. Quelle douceur pour les enfants que de regarder la mère! Je vous l’ai donnée pour cela, pour que vous puissiez avoir une douce Majesté dont la splendeur vous ravisse, mais sans vous éblouir. C’est seulement à des âmes spéciales, que j’ai choisies pour des raisons sans appel, que je me suis montré dans tout mon éclat de Dieu-Homme, d’intelligence et de perfection absolue. Mais avec ce don, j’ai dû leur en faire un autre qui les rende capables de supporter ma connaissance sans en être anéanties.
Tandis que Marie, vous pouvez tous la regarder. Non pas parce qu’elle est semblable à vous. Oh ! Non ! Sa pureté est si haute que moi, son Fils, la traite avec vénération. Sa perfection est telle que le Paradis tout entier s’incline devant son trône sur lequel descendent l’éternel sourire et l’éternelle splendeur de Notre Trinité. Mais cette splendeur, qui l’imprègne et la divinise plus que toute autre créature, est tamisée par la blancheur éclatante des voiles de sa chair immaculée, de sorte qu’elle rayonne comme une étoile, recueillant toute la lumière de Dieu et la diffusant telle une douce luminosité sur tous les êtres.
Et puis elle est éternellement votre Mère. Et de la mère, elle possède la pitié qui excuse, qui intercède, qui forme patiemment. Grande est la joie de Marie lorsqu’elle peut dire à celui qui l’aime : ‘Aime mon Fils’. Grande est ma joie lorsque je peux dire à celui qui m’aime : ‘Aime ma Mère’. Et très grande est notre joie lorsque nous voyons l’un d’entre vous qui, se détachant de mes pieds, va à Marie, ou un autre qui, se détachant du sein de Marie, vient à moi. Car la Mère se réjouit de donner au Fils d’autres personnes remplies d’amour pour lui, et le Fils se réjouit de voir sa Mère aimée par d’autres. Notre gloire ne cherche pas à écraser, mais se complète dans la gloire de l’autre.
Je te dis donc : ‘Aime Marie. Je te donne à celle qui t’aime et qui t’illuminera par la seule suavité de son sourire’.”
Les Cahiers de 1943, le 27 juin