En ce temps-là, Jésus quitta la synagogue de Capharnaüm et entra dans la maison de Simon. Or, la belle-mère de Simon était oppressée par une forte fièvre, et on demanda à Jésus de faire quelque chose pour elle. Il se pencha sur elle, menaça la fièvre, et la fièvre la quitta. À l’instant même, la femme se leva et elle les servait. Au coucher du soleil, tous ceux qui avaient des malades atteints de diverses infirmités les lui amenèrent. Et Jésus, imposant les mains à chacun d’eux, les guérissait. Et même des démons sortaient de beaucoup d’entre eux en criant : « C’est toi le Fils de Dieu ! » Mais Jésus les menaçait et leur interdisait de parler parce qu’ils savaient, eux, que le Christ, c’était lui. Quand il fit jour, Jésus sortit et s’en alla dans un endroit désert. Les foules le cherchaient ; elles arrivèrent jusqu’à lui, et elles le retenaient pour l’empêcher de les quitter. Mais il leur dit : « Aux autres villes aussi, il faut que j’annonce la Bonne Nouvelle du règne de Dieu, car c’est pour cela que j’ai été envoyé. » Et il proclamait l’Évangile dans les synagogues du pays des Juifs.
(…) Conduisez-moi auprès d’elle.
– Rabbi… Rabbi… je ne sais si elle voudra te voir. Elle ne veut voir personne. Je n’ose pas lui dire : “ Je vais t’amener le Rabbi. ” »
Jésus sourit sans perdre son calme. Il se tourne vers Pierre : « C’est à toi d’agir, Simon. Tu es un homme et le plus âgé des gendres, m’as-tu dit. Va. »
Pierre fait une grimace significative et obéit. Il traverse la cuisine, entre dans une pièce et, à travers la porte fermée derrière lui, je l’entends parler avec une femme. Il sort la tête et une main et dit :
« Viens, Maître, fais vite » et il ajoute plus bas, à peine intelligiblement : « Avant qu’elle ne change d’idée. »
Jésus traverse rapidement la cuisine et ouvre toute grande la porte. Debout sur le seuil, il dit sa douce et solennelle salutation :
« Que la paix soit avec toi. »
Il entre, bien qu’on n’ait pas répondu, et se dirige vers une couche basse sur laquelle est étendue une petite femme, toute grise, amaigrie, essoufflée par la forte fièvre qui rougit son visage enflammé.
Jésus se penche sur le lit, sourit à la petite vieille :
« Tu as mal ?
– Je meurs !
– Non, tu ne vas pas mourir. Peux-tu croire que je peux te guérir ?
– Et pourquoi le ferais-tu ? Tu ne me connais pas.
– Grâce à Simon, qui m’en a prié… et aussi pour toi, pour donner à ton âme le temps de voir et d’aimer la Lumière.
– Simon ? Il ferait mieux de… Comment donc Simon a-t-il pensé à moi ?
– C’est qu’il est meilleur que tu ne le crois. Je le connais, et je sais. Je le connais et je suis heureux de l’exaucer.
– Tu me guéris, alors ? Je ne mourrai plus ?
– Non, femme, pour l’instant tu ne mourras pas. Peux-tu croire en moi ?
– Je crois, je crois. Il me suffit de ne pas mourir ! »
Jésus sourit encore. Il la prend par la main. La main rugueuse, aux veines gonflées disparaît dans la main juvénile de Jésus, qui se redresse et prend l’attitude qu’il a habituellement pour accomplir un miracle. Il crie :
« Sois guérie ! Je le veux ! Lève-toi ! »
Et il lâche la main de la femme. Elle retombe sans que la petite vieille se plaigne, alors qu’auparavant, quand Jésus la lui avait prise, bien que ce fût avec une grande délicatesse, le mouvement avait arraché une plainte à la malade.
Un bref temps de silence. Puis la femme s’écrie à haute voix :
« Oh ! Dieu de nos pères ! Mais je n’ai plus rien ! Mais je suis guérie ! Venez, venez ! »
Les belles-filles accourent.
« Regardez donc, dit la femme, je bouge et ne sens plus de douleur ! Et je n’ai plus de fièvre ! Regardez comme je suis fraîche ! Mon cœur ne me donne plus l’impression d’être le marteau du forgeron. Ah ! Je ne meurs plus ! »
Pas un seul mot pour le Seigneur.
Mais Jésus ne s'en formalise pas. Il dit à la plus âgée des belles-filles :
« Habillez-la pour qu’elle se lève. Elle le peut. »
Et il s’écarte pour sortir.
Confus, Simon se tourne vers sa belle-mère :
« Le Maître t’a guérie. Tu ne lui dis rien ?
– Bien sûr que si ! Je n’y pensais pas. Merci, que puis-je faire pour te remercier ?
– Etre bonne, très bonne, car l’Eternel a été bon avec toi. Et, si cela ne t’ennuie pas, permets-moi de me reposer aujourd’hui chez toi. J’ai parcouru pendant la semaine tous les environs et je suis arrivé à l’aube, ce matin. Je suis fatigué.
– Certainement, certainement ! Reste donc si cela t’arrange. »
Mais il y a peu d’enthousiasme dans ses mots.
Jésus va s’asseoir dans le jardin en compagnie de Pierre, André, Jacques et Jean.
« Maître !…
– Mon Pierre ?
– Je suis confus. »
Jésus fait un geste, comme pour dire : « Laisse donc ! » Puis il dit :
« Ce n’est ni la première ni la dernière fois qu’on ne me remercie pas tout de suite. Mais je ne cherche pas la reconnaissance. Il me suffit de donner aux âmes le moyen de se sauver. Je fais mon devoir. A elles de faire le leur.
– Ah ! Y en a-t-il eu d’autres comme celle-là ? Où ?
– Simon, tu es bien curieux ! Mais je veux te contenter, bien que je n’aime pas les curiosités inutiles. C’était à Nazareth. Tu te rappelles la maman de Sarah ? Elle était très malade quand nous sommes arrivés à Nazareth et on nous a dit que la petite fille pleurait. Pour ne pas faire d’elle, qui est bonne et douce, une orpheline et plus tard la fille d’un second mariage, je suis allé trouver la femme… Je voulais la guérir… mais je n’avais pas encore posé le pied sur le seuil que son mari et un frère me chassèrent en disant : “ Va-t’en, va-t’en ! Nous ne voulons pas d’ennuis avec la synagogue. ” Pour eux, pour trop de gens, je suis déjà un rebelle… Je l’ai guérie tout de même… à cause de ses enfants. Et j’ai dit à Sarah, qui était dans le jardin, en la caressant : “ Je guéris ta mère. Rentre à la maison. Ne pleure plus. ” A l’instant même la femme fut guérie et la petite fille lui a tout raconté, ainsi qu’à son père et à son oncle… Mais on l’a punie pour m’avoir parlé. Je le sais, car l’enfant a couru derrière moi pendant que je quittais le village… Mais peu importe.
– Moi, je l’aurais fait redevenir malade !
– Pierre ! » Jésus est sévère. « C’est cela que je vous ai enseigné, à toi et aux autres ? Qu’as-tu entendu sur mes lèvres, la première fois que je t’ai parlé ? Quelle condition première ai-je toujours demandée pour être mes vrais disciples ?
– C’est vrai, Maître. Je suis vraiment bête. Pardonne-moi. Mais… je ne peux supporter qu’on ne t’aime pas !
– Ah ! Pierre, tu verras bien d’autres animosités ! Tu auras tant de surprises, Pierre ! Des personnes que les gens soi-disant “ saints ” méprisent comme des publicains et qui seront au contraire un exemple pour le monde, un exemple que ne suivront pas ceux qui les dédaignent. Des païens qui compteront parmi les plus grands fidèles, des prostituées qui deviendront pures à force de volonté et de pénitence, des pécheurs qui se corrigeront…
– Ecoute : qu’un pécheur se convertisse… passe encore. Mais une prostituée et un publicain !
– Tu ne le crois pas ?
– Moi, non.
– Tu es dans l’erreur, Simon (…)
[Jésus dit : ]
« Je pourrais dire que le saint est celui chez qui l’amour et le désir s’opposent à toute vue qui ne soit pas Dieu.
N’étant pas distrait par des vues inférieures, il garde les yeux du cœur fixés sur la Splendeur toute sainte qui est Dieu et en qui il voit – puisque tout est en Dieu – ses frères s’agiter et tendre leurs mains suppliantes ; et, sans détourner ses yeux de Dieu, le saint s’épanche sur ses frères suppliants.
Contre la chair, contre les richesses, contre le confort, il dresse son idéal : servir.
Le saint, un être pauvre, un être amoindri ?
Non : il est arrivé à posséder la sagesse et la richesse véritables. Il possède donc tout.
Et il ne sent pas la fatigue, car, s’il est vrai qu’il ne cesse de produire, il est tout aussi vrai qu’il ne cesse de se nourrir.
S’il est vrai qu’il comprend la souffrance du monde, il est tout aussi vrai qu’il se nourrit de la joie du Ciel.
C’est de Dieu que lui vient sa nourriture, c’est en Dieu qu’il trouve sa joie.
Le saint est la personne qui a compris le sens de la vie. »