Le soir venu, les disciples de Jésus descendirent jusqu’à la mer. Ils s’embarquèrent pour gagner Capharnaüm, sur l’autre rive. C’était déjà les ténèbres, et Jésus n’avait pas encore rejoint les disciples. Un grand vent soufflait, et la mer était agitée. Les disciples avaient ramé sur une distance de vingt-cinq ou trente stades (c’est-à-dire environ cinq mille mètres), lorsqu’ils virent Jésus qui marchait sur la mer et se rapprochait de la barque. Alors, ils furent saisis de peur. Mais il leur dit : « C’est moi. N’ayez plus peur. » Les disciples voulaient le prendre dans la barque ; aussitôt, la barque toucha terre là où ils se rendaient.
(...) Le bruissement des feuilles et le grondement des flots remplissent maintenant l’espace, qui était si paisible peu de temps auparavant.
Jésus sort de sa méditation. Il se lève. Il regarde le lac. A la lumière des étoiles qui restent et de cette pauvre aube bien malade, il y cherche des yeux la barque de Pierre et la voit s’avancer péniblement vers la rive opposée, mais sans y arriver. Alors Jésus s’enveloppe étroitement dans son manteau dont il relève le bord, qui traîne et qui le gênerait dans la descente, et il le passe sur sa tête comme si c’était un capuchon. Il descend rapidement, non par la route qu’il avait suivie, mais par un sentier rapide qui rejoint directement le lac. Il va si vite qu’il semble voler.
Il parvient à la rive fouettée par les vagues qui forment sur la grève une bordure bruyante et écumeuse. Il poursuit rapidement son chemin comme s’il ne marchait pas sur l’élément liquide tout agité, mais sur un plancher lisse et solide. Maintenant il devient lui-même lumière. On dirait que le peu de clarté qui parvient encore des rares étoiles qui s’éteignent et de l’aube orageuse se concentre sur lui et forme une sorte de phosphorescence qui éclaire son corps élancé. Il vole sur les flots, sur les crêtes mantes, dans les replis obscurs entre les vagues, les bras tendus en avant. Son manteau se gonfle autour des joues et flotte comme il peut, serré comme il est autour du corps, avec un battement d’ailes.
Les apôtres le voient et poussent un cri d’effroi que le vent porte à Jésus.
« N’ayez pas peur. C’est moi. »
La voix de Jésus, malgré le vent contraire, se propage sans difficulté sur le lac.
« Est-ce bien toi, Maître ? » demande Pierre. « Si c’est toi, dis-moi de venir à ta rencontre en marchant comme toi sur les eaux. » (...)
[Le soir du jeudi saint, le 22 avril 1943, Maria Valtorta reçoit la ‘vision’ d’une violette au pied de la Croix. Elle lui dévoile et l’introduit dans celle qui sera sa mission. Le jour suivant, vendredi saint 1943, suit la première ‘dictée’. Ainsi commence une des plus grande révélation privée de l’histoire du christianisme.]
[...] Hier soir, j’avais lu le journal ; et puis, lasse même de ça, j’avais fermé les yeux et je restais là… inerte. Tout à coup, j’ai vu, mentalement, un terrain très pierreux et aride. Cela ressemblait au sommet d’un monticule comme on en voit tant dans nos collines. Dénué de toute végétation, riche seulement en pierres et silex brutes blanchâtres, il était entouré d’un vaste horizon. Tout au sommet avait poussé un plant de violettes, la seule chose vivante au milieu d’une telle désolation. Je voyais distinctement la touffe épaisse de feuilles rapprochées les unes des autres, comme pour mieux résister aux vents qui battaient la cime. Quelques bourgeons de violette, plus ou moins ouverts, montraient leur petite tête au-dessus de la touffe verte. Mais une seule violette était complètement éclose, belle, d’une couleur vive, corolle ouverte tendue vers le ciel.
Ce fut de la voir si droite, comme si elle était attirée par une force singulière, qui fixa mon attention et me fit chercher du regard. Et je vis une planche, une grosse planche enfoncée dans le sol. On aurait dit un tronc grossièrement raboté, encore rugueux. A un mètre et demi du sol, peut-être moins, je vis deux pieds transpercés… je ne vis que cela hier soir. Deux pieds torturés. Et qu’il fussent âprement torturés se devinait à la contraction des orteils qui se repliaient presque jusqu’à la plante des pieds comme en un spasme tétanique.
Du sang, qui coulait le long des talons, tombait sur la planche rugueuse et la sillonnait jusqu’au sol. D’autre gouttes tombaient des orteils contractés et ruisselaient sur la touffe de violettes. C’est donc vers cela que se tournait la violette, toute tendue vers le ciel ! Vers ce sang qui la nourrissait, tout comme il nourrissait cette touffe unique de verdure qui avait su, en cette terre stérile, pousser contre ce bois.
Cette vision m’a dit beaucoup de choses… Et quand vous* êtes venu, j’étais en train de voir ce signe qui était mon sermon du Mercredi Saint. Cette scène ne s’est pas évanouie. Elles ne s’évanouissent pas facilement. Elles restent clairement gravées dans le cerveau, même si les choses habituelles reprennent, ou tentent de reprendre, le dessus.
Et puis ce matin, avant que vous n’arriviez, j’ai entrevu le reste du corps. Je dis bien, entrevu, parce qu’il apparaissait et disparaissait comme dans l’ondoiement de voiles de brouillard. D’autres fois, l’image en était beaucoup plus nette… mais, alors, il me semblait mort. Maintenant, il me paraît vivant. Et je pense que c’est une grande pitié de la part de Jésus de ne pas me montrer son visage. Jésus est tellement affligé, la tristesse que lui cause l’iniquité humaine – qui ne faiblit jamais mais, bien au contraire, ne cesse de grandir – a atteint une telle intensité que nous ne pourrions supporter, sans en mourir de douleur, l’expression de son divin visage.
Jésus, mon Maître, de sa parole muette, me dit que ma place est plus que jamais au pied de la croix. Je dois tirer ma vie uniquement de son Sang… et mon seul devoir est d’être l’encens au pied de son trône de Rédempteur. L’encens dont le parfum recouvre l’odeur nauséabonde du péché, de la méchanceté, de la barbarie qui émane de la terre. L’encens n’exhale son parfum qu’en brûlant et en se consumant. Et c’est ce que je dois faire.
La vision me dit aussi que la fleur peut attirer d’autres regards à la croix, peut amener d’autres créatures à s’incliner sous la pluie de son sang. C’est là la tâche de la fleur envers Dieu et son prochain. Réparation d’amour envers Jésus et attraction à Jésus de beaucoup de cœurs, en acceptant de vivre à cette fin dans un désert aride, seule avec la croix.
Je pourrais dire que je suis restée les lèvres pressées contre ces pieds transpercés comme si je buvais à une source qui est à la fois fraîcheur et ardeur. Une sensation spirituelle, mais si vive qu’elle semble réelle… [...]
* Il s’agit du père Romualdo Migliorini.
Les Cahiers de 1943, 22 avril