En ce temps-là, Jésus était en train d’enseigner dans une synagogue, le jour du sabbat. Voici qu’il y avait là une femme, possédée par un esprit qui la rendait infirme depuis dix-huit ans ; elle était toute courbée et absolument incapable de se redresser. Quand Jésus la vit, il l’interpella et lui dit : « Femme, te voici délivrée de ton infirmité. » Et il lui imposa les mains. À l’instant même elle redevint droite et rendait gloire à Dieu. Alors le chef de la synagogue, indigné de voir Jésus faire une guérison le jour du sabbat, prit la parole et dit à la foule : « Il y a six jours pour travailler ; venez donc vous faire guérir ces jours-là, et non pas le jour du sabbat. » Le Seigneur lui répliqua : « Hypocrites ! Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas de la mangeoire son bœuf ou son âne pour le mener boire ? Alors cette femme, une fille d’Abraham, que Satan avait liée voici dix-huit ans, ne fallait-il pas la délivrer de ce lien le jour du sabbat ? » À ces paroles de Jésus, tous ses adversaires furent remplis de honte, et toute la foule était dans la joie à cause de toutes les actions éclatantes qu’il faisait.
(…) Femme, viens ici ! » dit-il en faisant signe à une femme qui se tient près du mur, tellement courbée qu’elle ressemble à un point d’interrogation.
Les gens regardent dans la direction qu’indique Jésus, mais ne voient pas la femme qui, à cause de sa position, ne peut voir Jésus et sa main.
« Va donc, Marthe ! Il t’appelle » lui disent plusieurs.
Et la malheureuse s’approche en boitant avec son bâton, à la hauteur duquel se trouve sa tête.
Elle se tient maintenant devant Jésus, qui lui dit :
« Femme, reçois un souvenir de mon passage et une récompense pour ta foi humble et silencieuse. Sois délivrée de ton infirmité » s’écrie-t-il enfin en lui posant les mains sur les épaules.
Aussitôt la femme se lève et, droite comme un palmier, lève les bras en s’écriant :
« Hosanna ! Il m’a guérie ! Il a regardé sa fidèle servante et lui a accordé ses bienfaits. Louange soit au Sauveur et Roi d’Israël ! Hosanna au Fils de David ! »
Les gens joignent leurs louanges aux “ hosannas ” de la femme qui est maintenant agenouillée aux pieds de Jésus et qui baise le bord de son vêtement pendant que Jésus lui dit :
« Va en paix et persévère dans la foi. »
Le chef de la synagogue, que doivent encore brûler les paroles dites par Jésus avant la parabole, veut jeter son venin à cause de ce reproche et, pendant que la foule s’ouvre pour laisser passer la miraculée, il s’écrie avec indignation :
« Il y a six jours pour travailler, six jours pour demander et pour donner. Venez donc ces jours-là, tant pour demander que pour donner. Venez guérir ces jours-là, sans violer le sabbat, pécheurs et mécréants que vous êtes, corrompus et corrupteurs de la Loi ! »
Et il cherche à expulser tout le monde de la synagogue, comme pour chasser la profanation du lieu de prière.
Il est aidé par les quatre notables déjà mentionnés et par d’autres disséminés dans la foule qui donnent les signes les plus manifestes de leur scandale et de leur dégoût du au… crime de Jésus. Voyant cela, Jésus s’écrie à son tour, en les regardant, les bras croisés, l’air sévère, imposant :
« Hypocrites ! Lequel d’entre vous, en ce jour de sabbat, n’a pas détaché son bœuf ou son âne de la mangeoire et ne l’a pas mené boire ? Et qui n’a pas porté des bottes d’herbe aux brebis du troupeau et n’a pas trait le lait des mamelles pleines ? Pourquoi donc, puisque vous avez six jours pour le faire, l’avez-vous fait même aujourd’hui pour quelques deniers de lait ou par crainte que votre bœuf ou votre âne ne meure de soif ? Et moi, je n’aurais pas dû débarrasser cette femme du joug sous lequel Satan l’a retenue pendant dix-huit ans, uniquement parce que c’est le sabbat ? Partez ! J’ai pu délier cette femme de ses chaînes involontaires. Mais je ne pourrai jamais vous détacher des vôtres qui sont volontaires, ô ennemis de la Sagesse et de la Vérité ! »
Les braves gens — peu nombreux parmi les habitants hostiles de Chorazeïn — approuvent et louent alors que les autres, blèmes de rage, s’en vont, abandonnant le chef de la synagogue, livide lui aussi.
Jésus également le laisse en plan et sort de la synagogue, entouré des bons qui continuent à l’escorter jusqu’à ce qu’il ait rejoint la campagne. Il les bénit alors une dernière fois, et prend la grand-route en compagnie de ses cousins, de Pierre et de Thomas…
Jésus dit :
“Ecoute, Maria. Tu connais la parabole du père qui a deux fils ; l’un dit : ‘Oui, père’, et puis ne fait rien ; l’autre dit : ‘Non, père’, et puis fait ce que son père lui demande ?
Je ne veux pas ici te faire méditer sur les devoirs des enfants et sur la beauté de l’obéissance. Non. Je veux seulement dire que peut-être ce père n’était pas un modèle de père. La preuve : ses enfants ne l’aimaient pas : l’un ment, l’autre répond par un refus qu’il surmonte ensuite par un effort surhumain.
Les enfants ne sont pas tous parfaits, mais il est vrai aussi que tous les pères ne sont pas parfaits. Le commandement dit : ‘Père et mère tu honoreras’ et celui qui l’enfreint pèche et sera puni par la Justice divine. Mais la Justice ne serait pas justice si elle n’employait pas la même mesure avec ceux qui n’honorent pas les enfants. Honorer dans la langue ancienne veut dire: traiter une personne avec des égards révérentiels. Or, s’il est juste d’honorer ceux qui nous ont donné la vie et ont pourvu à nos besoins pendant l’enfance, il n’est pas moins juste que les parents honorent les êtres que Dieu leur a accordé d’avoir et qu’il leur a confiés, à eux qui les ont engendrés, pour qu’ils les élèvent saintement.
Trop souvent, les pères et les mères ne réfléchissent pas au fait qu’ils deviennent les dépositaires et gardiens d’un prodige du Dieu Créateur. Trop souvent les parents ne pensent pas que, dans cette chair engendrée par la chair et le sang humains, il y a une âme créée par Dieu, laquelle doit être formée à une doctrine de spiritualité et de vérité pour être dignement remise à Dieu.
Chaque enfant est un talent que le Seigneur a confié à un de ses serviteurs. Mais malheur au serviteur qui ne le fait pas fructifier, qui le laisse inerte en s’en désintéressant, ou pis encore, le détruit et le corrompt. Si, d’une voix sévère, Dieu demande des explications à celui qui ne veille pas à enrichir le talent vivant du bon Dieu, et décrète un long châtiment, Dieu, Maître et Juge de tout ce qui est, décrétera, par un inexorable verdict, la peine éternelle à celui qui dissipe et tue l’âme de son enfant, au parent meurtrier de sa partie la plus précieuse : son âme.
Ceci est vrai en général.” [...]
Les Cahiers de 1943, 10 juillet