Jésus était dans une ville quand survint un homme couvert de lèpre ; voyant Jésus, il tomba face contre terre et le supplia : « Seigneur, si tu le veux, tu peux me purifier. » Jésus étendit la main et le toucha en disant : « Je le veux, sois purifié. » À l’instant même, la lèpre le quitta. Alors Jésus lui ordonna de ne le dire à personne : « Va plutôt te montrer au prêtre et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit ; ce sera pour tous un témoignage. » De plus en plus, on parlait de Jésus. De grandes foules accouraient pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. Mais lui se retirait dans les endroits déserts, et il priait.
(…) Le lépreux sort du fossé et monte sur la berge, la franchit et s’avance dans le pré. Jésus l’attend, adossé à un très grand noyer.
« Maître, Messie, Saint, aie pitié de moi ! »
Et il s’affale sur l’herbe aux pieds de Jésus. Le visage collé au sol, il ajoute :
« Oh ! Mon Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier ! »
Puis il ose se mettre à genoux, allonge ses bras squelettiques aux mains tordues et tend son visage osseux, tout dévasté… Des larmes tombent de ses orbites malades à ses lèvres que la lèpre a rongées.
Jésus le regarde avec une immense pitié, il regarde ce fantôme qu’un mal horrible dévore et dont une vraie charité peut seule supporter le voisinage tant il est répugnant et malodorant. Et voici que Jésus tend une main, sa belle main droite et saine, comme pour caresser le malheureux.
Celui-ci sans se lever, se rejette en arrière sur ses talons et s’écrie :
« Ne me touche pas ! Aie pitié de toi-même ! »
Mais Jésus fait un pas en avant. Solennel, respirant une douce bonté, il pose ses doigts sur la tête grignotée par la lèpre et dit à pleine voix, d’une voix qui n’est qu’amour et pourtant impérieuse :
« Je le veux, sois purifié ! »
Sa main s’attarde quelques minutes sur la pauvre tête.
« Lève-toi. Va trouver le prêtre. Accomplis ce que la Loi prescrit. Ne dis pas ce que je t’ai fait, mais sois bon, ne pèche plus jamais. Je te bénis.
– Oh ! Seigneur ! Abel ! Mais tu es tout à fait guéri ! »
Samuel, qui voit la transformation de son ami, crie de joie.
« Oui. Il est guéri. Sa foi le lui a mérité. Adieu. Que la paix soit avec toi !
– Maître ! Maître ! Maître ! Je ne te quitte plus, je ne peux plus te quitter !
– Accomplis ce que demande la Loi. Puis nous nous reverrons encore. Pour la seconde fois, que ma bénédiction soit sur toi. » (…)
Jésus dit :
« Tu as eu pour mission d’être une voix mondiale. Tu dois chanter l’hymne de la Miséricorde et de l’Amour, de la Sagesse et de la Perfection, pour toutes les oreilles et tous les cœurs, pour toutes les intelligences et toutes les âmes. [...]
La Providence agit avec bienveillance envers ses créatures. La corruption générale, qui existait dès avant la guerre et ne cesse d’augmenter, le relâchement du clergé, la guerre atroce, les doctrines pernicieuses, l’orgueil des… petits experts – ou qui pensent l’être –, tout cela a tellement diminué la foi qu’elle pourrait finir par mourir de consomption. Or – c’est pénible à dire – l’agent qui fait le plus de tort à la foi, c’est le clergé ; je t’ai d’ailleurs très souvent donné des dictées sur ses manquements. Dans une nuit sans lune, les étoiles sont plus nombreuses à s’allumer et l’on voit même les plus petites ; or toutes servent à donner un minimum de lumière pour guider le voyageur nocturne. de même, la société des catholiques, qui manque des plus grandes lumières – entends par là le clergé actif – reçoit des étoiles, grandes ou petites. Les derniers temps seront les temps de l’esprit. Ces lumières, ces voix pulluleront alors pour servir de guide aux cœurs droits qui marcheront à tâtons dans les brumes des matérialismes, des rationalismes, des sectarismes auxquels les prêtres prendront largement part. Et Dieu sera toujours connu de ses enfants, avec sa vraie vitalité, et non la mécanique froide, automatique, livrée par ceux qui ne croient plus, même s’ils crient : “Foi ! foi !” parce que c’est leur métier. Oh ! Qui sont ceux qui crient ainsi ? Des pleureuses soudoyées, ou des camelots païens ? Leur travail terminé, les uns et les autres s’en vont, nullement convaincus de la bonté de ce qu’ils ont vanté ni accablés par la douleur sur laquelle ils ont pleuré. En vérité, en vérité je vous dis qu’une “petite voix” aura plus de pouvoir en disant des paroles venues de Dieu et malgré quelque faute de grammaire, que les actions utilitaristes et peu convaincues d’une trop grande partie du clergé ! C’est pour cette raison que je vais et que je suscite ici et là mes “voix”. Je le ferai toujours, même si l’on me combat à travers elles. Et plus je verrai mon troupeau à la merci des pasteurs idoles, plus je le ferai. »
Les Cahiers de 1945 à 1950, 19 décembre 1945