En ce temps-là, tandis que Jésus parlait aux disciples de Jean le Baptiste, voilà qu’un notable s’approcha. Il se prosternait devant lui en disant : « Ma fille est morte à l’instant ; mais viens lui imposer la main, et elle vivra. » Jésus se leva et le suivit, ainsi que ses disciples. Et voici qu’une femme souffrant d’hémorragies depuis douze ans s’approcha par derrière et toucha la frange de son vêtement. Car elle se disait en elle-même : « Si je parviens seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée. » Jésus se retourna et, la voyant, lui dit : « Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée. » Et, à l’heure même, la femme fut sauvée. Jésus, arrivé à la maison du notable, vit les joueurs de flûte et la foule qui s’agitait bruyamment. Il dit alors : « Retirez-vous. La jeune fille n’est pas morte : elle dort. » Mais on se moquait de lui. Quand la foule fut mise dehors, il entra, lui saisit la main, et la jeune fille se leva. Et la nouvelle se répandit dans toute la région.
(…) Une voix masculine crie : « Place ! Place ! » C’est une voix angoissée et que beaucoup doivent connaître et respecter comme celle d’un personnage influent, car la foule, qui s’écarte très difficilement tant elle est compacte, laisse passer un homme d’une cinquantaine d’années, vêtu d’un vêtement long et flou, la tête couverte d’une espèce de foulard blanc dont les pans retombent le long du visage et du cou.
Arrivé devant Jésus, il se prosterne à ses pieds :
«Ah ! Maître, pourquoi as-tu été si longtemps absent ? Ma fillette est très malade. Personne n’arrive à la guérir. Toi seul, tu es mon espoir et celui de sa mère. Viens, Maître. Je t’ai attendu avec une immense angoisse. Viens, viens immédiatement ! Mon unique enfant est à l’article de la mort… »
Il pleure. Jésus pose la main sur la tête de l’homme, en larmes, sur sa tête inclinée que secouent des sanglots, et il lui répond :
« Ne pleure pas. Aie foi. Ta fille va vivre. Allons auprès d’elle. Lève-toi ! Allons ! »
Ces deux derniers mots sont dits sur un ton impérieux. Au début, il était le Consolateur, maintenant c’est le Dominateur qui parle.
Ils se remettent en marche. Jésus tient par la main le père en pleurs, à ses côtés. Lorsqu’un sanglot plus fort secoue le pauvre homme, je vois Jésus le regarder et lui serrer la main. Il ne fait rien d’autre, mais quelle force doit affluer dans une âme quand elle se sent ainsi traitée par Jésus ! (…)
« De quel tact ne faut-il faire preuve avec les enfants !
Combien il serait bon de se souvenir constamment “que leurs anges voient la face de Dieu dans le ciel” !
Au contraire, j’ai souvent remarqué peu de délicatesse de la part des adultes et des femmes en particulier.
Ce sont des conversations, des journaux, des livres qui sont laissés à la portée des enfants, alors qu’il serait préférable qu’ils restent hors de leur portée. Il y a des spectacles, des modes, un manque de pudeur dans le vêtement, dont on devrait sauvegarder les enfants. Car les tout petits voient, entendent et réfléchissent mieux que les adultes !
Je tiens à le répéter.
En me souvenant de la vivacité de mon attention et de mon esprit d’observation, j’ai toujours pris un soin scrupuleux vis-à-vis de l’innocence des enfants qu’il m’arrivait de côtoyer.
Tout récemment encore, j’ai dû me défendre contre le médecin qui voulait me visiter en présence de son enfant âgé de trois ans. “Mais de toute manière il ne comprend pas”, disait le médecin, en indiquant le petit qui était en train de jouer avec de petites images. “Mais je ne veux quand même pas”, ai-je répondu.
Non, Dieu pourra me reprocher bien des choses, mais, en m’examinant bien, il me semble vraiment qu’il ne pourra pas me demander de rendre compte de tel ou tel agissement que j’aurai commis au dépens d’un innocent. Et cette certitude de n’avoir blessé aucune candeur est douce et rassérénante pour mon cœur.
Non. Maintenant que je me sens proche du départ pour l’éternité et au bout du parcours de ma vie, en regardant le chemin parcouru il me semble vraiment pouvoir dire : “Je n’ai été pour personne cause de corruption”.
Si j’ai commis du mal, c’est contre moi seulement que je l’ai commis, et de manière que rien n’en apparaisse au-dehors, pas même l’ombre. Et cela non pas par souci de respect humain, mais bien par respect de l’âme d’autrui, qu’il s’agisse d’un adulte ou d’un enfant, d’un juste ou d’un pécheur ; car je l’ai toujours respecté comme une oeuvre de Dieu, pensant que, de même qu’aucun mortel n’est entièrement saint — puisque la sainteté complète n’appartient qu’à Dieu — de la même manière aucun homme n’est entièrement pécheur. Voilà pourquoi j’ai toujours pris soin de ne point ajouter d’autres miettes de méchanceté dans les cœurs, voire d’y jeter la première miette, s’il s’agissait de cœurs innocents.
J’ai été choquée, blessée, salie par l’imprudence d’autrui et je dus par mes propres forces me relever, me soigner, me purifier. J’ai dû agir à partir de mes seules forces, car je n’ai reçu l’aide humaine de personne. Quant à l'œuvre de Dieu en moi, vous verrez vous-même qu’il s’agit davantage d’une action auxiliaire d’harmonisation que d’une imposition. Ce fut une action très lente, une pénétration plus imperceptible que celle d’un microbe dans le corps. Et cela n’avança pas davantage parce que je répondis au premier appel.
Je pense à l’avalanche qui ne peut se former si le premier flocon de neige ne commence un mouvement tourbillonnant et si tout le flanc de la montagne ne s’y prête pas.
Dieu et moi formions l’avalanche. Il fut le premier flocon auquel je donnais la première impulsion... puis, d’elle-même, l’avalanche prit de l’importance et de la vitesse dans l’union d’une descente qu’est l’ascension dans l’abîme de la divinité, grâce à l’anéantissement de la créature qui se purifie, en naissant à Dieu pour la vie éternelle dans l’amour et la souffrance. »