En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. »
(…) Je vous ai enseigné hier comment Dieu doit être aimé. J’insiste maintenant sur la façon dont on doit aimer le prochain.
On disait autrefois : “ Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi. ” Non, qu’il n’en aille pas ainsi. C’était bon pour les temps où l’homme n’avait pas le réconfort du sourire de Dieu. Mais maintenant viennent des temps nouveaux, des temps où Dieu aime tant l’homme qu’il lui envoie son Verbe pour le racheter. Maintenant le Verbe parle, et c’est déjà la grâce qui se répand. Puis le Verbe consommera le sacrifice de paix et de rédemption et la grâce, non seulement sera répandue, mais elle sera donnée à toute âme qui croit au Christ. C’est pour cela qu’il faut élever l’amour du prochain à la perfection qui ne fait pas de distinction entre l’ami et l’ennemi.
On vous calomnie ? Aimez et pardonnez. On vous frappe ? Aimez et tendez l’autre joue à celui qui vous gifle, en pensant qu’il vaut mieux que sa colère s’en prenne à vous qui savez la supporter plutôt qu’à un autre qui se vengerait de l’affront. On vous a volés ? Ne pensez pas : “ Mon prochain est un être cupide ”, mais pensez charitablement : “ Mon pauvre frère est dans le besoin ” et donnez-lui aussi votre tunique s’il vous a déjà pris votre manteau. Vous le mettrez dans l’impossibilité de faire un double vol car il n’aura plus besoin de voler la tunique d’un autre. Vous répondez : “ Ce pourrait être par vice et non par nécessité. ” Eh bien, donnez-le quand même ! Dieu vous en récompensera et l’injuste expiera. Mais souvent – et cela rappelle ce que j’ai dit hier sur la douceur –, le pécheur qui se voit ainsi traité renoncera sincèrement à son vice et se rachètera en réparant son vol par la restitution.
Montrez-vous généreux envers ceux, plus honnêtes, qui vous demandent ce dont ils ont besoin, au lieu de vous voler. Si les riches étaient réellement pauvres en esprit comme je vous l’ai enseigné hier, ces pénibles inégalités sociales, causes de tant de malheurs humains et surnaturels, n’existeraient plus. Pensez toujours : “ Mais si, moi, j’avais été dans le besoin, quel effet m’aurait fait le refus d’une aide ? ” et agissez d’après votre réponse. Faites aux autres ce que vous voudriez qu’on vous fasse et ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’il vous soit fait. (…)
[...] Jésus a quitté Béthanie avec ceux qui étaient avec lui, c’est-à-dire Simon le Zélote et Marziam. Mais Anastasica s’est jointe à eux et, toute voilée, elle marche à côté de Marziam, tandis que Jésus est un peu en arrière avec Simon. Les deux groupes cheminent tout en parlant, chacun pour son compte, de ce qui lui tient le plus à cœur.
Poursuivant une conversation déjà commencée, Anastasica dit à Marziam :
« J’ai hâte de la rencontrer. » (Peut-être parle-t-elle d’Elise de Beth-Çur). « Crois bien que je n’étais pas aussi émue quand je me suis mariée, ou quand on m’a déclarée lépreuse. Comment vais-je la saluer ? »
Et Marziam, avec un sourire doux et sérieux :
« Oh ! par son vrai nom : Mère !
– Mais je ne la connais pas ! N’est-ce pas trop de familiarité ? Qui suis-je, enfin, pour elle ?
– Ce que j’étais l’an dernier. Et même, toi, tu vaux bien mieux que moi ! Moi, j’étais un pauvre orphelin sale, apeuré, grossier. Et pourtant elle m’a appelé “ mon fils ” dès le premier instant, et elle s’est toujours montrée pour moi une vraie mère. L’an dernier, c’était moi qui tremblais de peur en attendant de la rencontrer. Mais ensuite, rien qu’à la voir, je n’ai plus éprouvé aucune crainte. Elle est disparue, toute cette épouvante qui m’était restée dans le sang depuis que j’avais vu de mes yeux d’enfant, d’abord la fureur de la nature qui avait tout détruit de ma maison et de ma famille, puis… puis, de mes yeux d’enfant j’avais pu, j’avais dû voir comment l’homme est un fauve plus cruel qu’un chacal ou un vampire… Toujours trembler… toujours pleurer… sentir ici un nœud qui vous serre fort, un nœud douloureux de peur, de peine, de haine, de tout… En quelques mois, j’ai connu tout le mal, la souffrance et la férocité qui existent dans le monde… Et je ne pouvais croire qu’il y avait encore de la bonté, encore de l’amour, encore de la protection…
– Comment donc ! Quand le Maître t’a-t-il pris ? Et quand as-tu fait partie de ses disciples, si bons ?
– J’ai encore tremblé, ma sœur… et j’ai encore haï. Oh, il a fallu du temps pour me persuader de ne pas avoir peur… Et il m’en a fallu encore davantage pour arriver à ne pas détester ceux qui ont fait souffrir mon âme en lui montrant ce que peut être un homme : un démon sous une apparence de fauve. On ne souffre pas sans en subir longtemps les conséquences, surtout quand on est enfant… Il en demeure une trace, car notre cœur est encore tendre et tiède des baisers de notre mère, affamé de baisers plus encore que de pain. Et, au lieu de cela, il se voit asséner des coups…
– Pauvre enfant !
– Oui, pauvre, tellement pauvre ! Je n’avais plus ni espoir en Dieu ni respect de l’homme… J’avais peur de l’homme. Même près de Jésus, même dans les bras de Pierre, j’avais peur… Je me disais : “ Est-ce possible ? Cela ne durera pas. Eux aussi se lasseront d’être bons… ” Et je soupirais après Marie. Une mère est toujours une mère, n’est-ce pas ?
Et en effet, quand je l’ai vue, quand je me suis trouvé dans ses bras, je n’ai plus eu peur. J’ai compris que tout le passé était vraiment fini et que j’étais passé de l’enfer au paradis…
Ma dernière souffrance fut de voir qu’on me laissait de côté… Je soupçonnais toujours du mal. J’ai beaucoup pleuré. Oh ! alors… Avec quel amour elle m’a pris ! Non, je n’ai plus pleuré ma mère à partir de ce moment-là, je n’ai plus tremblé…. Marie est la douceur et la paix des malheureux…
L'Évangile tel qu’il m’a été révélé, ch 366.1