En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi. Si vous apparteniez au monde, le monde aimerait ce qui est à lui. Mais vous n’appartenez pas au monde, puisque je vous ai choisis en vous prenant dans le monde ; voilà pourquoi le monde a de la haine contre vous. Rappelez-vous la parole que je vous ai dite : un serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera, vous aussi. Si l’on a gardé ma parole, on gardera aussi la vôtre. Les gens vous traiteront ainsi à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas Celui qui m’a envoyé. »
Ce que je vous commande, c’est de vous aimer et de pardonner. Avez-vous compris ? Si le monde connaît la haine, n’ayez en vous que de l’amour. Pour tous. Combien de traîtres trouverez-vous sur votre route ! Mais vous ne devez pas haïr et rendre le mal pour le mal. Autrement, le Père ne vous pardonnera pas. J’ai été haï et trahi avant vous. Et pourtant, vous le voyez, je ne hais personne. Le monde ne peut aimer ce qui n’est pas comme lui. Il ne vous aimera donc pas. Si vous lui apparteniez, il vous aimerait ; mais vous n’êtes pas du monde, car je vous ai pris du milieu du monde, et c’est pour cela que vous êtes détestés.
Je vous ai dit : le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi. S’ils m’ont écouté, ils vous écouteront vous aussi. Mais ils feront tout à cause de mon nom, parce qu’ils ne connaissent pas, ne veulent pas connaître Celui qui m’a envoyé. Si je n’étais pas venu et ne leur avais pas parlé, ils ne seraient pas coupables, mais maintenant leur péché est sans excuse. Ils ont vu mes œuvres, entendu mes paroles, et pourtant ils m’ont haï, et avec moi le Père, parce que le Père et moi, nous sommes une seule Unité avec l’Amour.
Marie dit :
“C’est grâce à la pitié de Longin que je pus m’approcher de la croix, à laquelle j’étais parvenue par des raccourcis escarpés, portée davantage par mon amour que par mes propres forces.
Longin était un soldat droit qui accomplissait son devoir et exerçait son droit avec justice. Il était donc déjà prédisposé aux prodiges de la Grâce. Pour la pitié dont il fit preuve, je lui obtins le don des gouttes de la poitrine et elles furent son baptême de grâce, car son âme avait soif de Justice et de Vérité.
Les anges avaient dit à l’aube de la naissance de Jésus : ‘Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté’. Au coucher du soleil, le jour de la mort du Christ, le Christ même donnait sa paix à cet homme de bonne volonté. Longin fut le premier fils qui me naquit du travail de la Croix, et Disma fut le dernier racheté par la parole de Jésus de Nazareth, comme Jean en fut le premier, et je pourrais dire que ce dernier fut, avec son cœur de lys de diamant embrasé par l’amour, la lumière née de la Lumière, et jamais les ténèbres ne purent l’obscurcir.
Je n’avais fait que prendre ce ‘fils du Christ’ (le père Migliorini sait ce que veut dire en hébreu le suffixe bar) des mains de mon Fils, initiant ainsi le cycle de ma maternité spirituelle par une fleur déjà éclose au Ciel, maternité spirituelle née comme une rose pourpre des paumes clouées au tronc de la croix, si différente de la rose de joie blanche de Cana, mais également donnée par l’amour du Christ à sa Maman pour les humains, et par l’amour du Christ aux humains pour sa Maman qui n’aurait plus de Fils.
Un miracle d’amour marqua l’ère de l’évangélisation, un miracle d’amour celle de la rédemption, car tout ce qui vient de Jésus est amour et tout ce qui vient de Marie est aussi amour. Le cœur de la Mère ne diffère pas de celui du Fils autrement que dans la perfection divine.
Du haut de la croix, les paroles étaient descendues lentement, espacées dans le temps comme les heures sonnant à une horloge céleste. Et je les avait toutes recueillies, même celles qui se référaient moins directement à moi, car même un soupir du Mourant était recueilli, bu, aspiré par mon ouïe, mon œil, mon cœur.
‘Femme, voici ton fils’. Et à partir de ce moment, j’ai donné des enfants au Ciel, engendrés par ma douleur. Accouchement virginal, comme le premier, que cet accouchement mystique de mes enfants humains pour lui. Je vous donne le jour des Cieux à travers mon Fils et ma douleur. Et si cette procréation, qui débuta par ces paroles, n’entraîne pas de hurlements de chair déchirée, puisque ma chair était exempte de faute et de la condamnation d’enfanter dans la douleur, le cœur déchiré hurla sans voix, avec le sanglot muet de l’esprit, et je peux dire que vous naissez par le passage que ma douleur de Mère a ouvert dans mon cœur de Vierge.
Mais la parole reine de ce cruel après-midi était toujours la même : ‘Maman !’. Seulement de m’appeler était un réconfort pour le Fils, puisqu’il savait combien je l’aimais et que mon esprit montait sur la croix pour embrasser mon saint Torturé. Parole répétée de plus en plus souvent et de façon de plus en plus déchirante à mesure que les affres augmentaient comme une marée montante.
Le grand cri dont parlent les évangélistes fut cette parole. Il avait tout dit et tout accompli, il avait remis son esprit entre les mains de son Père et invoqué le Père pour son immense douleur. Et le Père ne s’était pas montré à celui en qui, jusqu’à ce moment, il avait mis sa complaisance et que, maintenant qu’il était chargé des péchés du monde, Dieu regardait avec rigueur. La Victime appela la Mère. Avec un hurlement de lancinante douleur qui transperça les Cieux, en faisant pleuvoir le pardon, et qui transperça mon cœur, en faisant pleuvoir sang et pleurs.
J’ai recueilli ce cri dans lequel, à cause des contractions de la mort et de cette mort même, la parole sombrait dans une déchirante lamentation, et j’ai porté ce son en moi comme une épée de feu jusqu’au matin pascal, lorsque le Vainqueur entra, plus resplendissant que le soleil de ce matin serein, plus beau que je ne l’avais jamais vu, car le tombeau avait avalé un Homme-Dieu et il me rendait un Dieu-Homme, parfait dans sa virile majesté, jubilant pour l’épreuve accomplie.
‘Maman’ fut sa parole en ce moment-là aussi. Mais, ô fille ! cette fois, c’était le cri de sa joie irrépressible, qu’il me faisait partager en me serrant sur son cœur et en lavant l’absinthe du fiel et du vinaigre par le baiser de sa Mère.
Ne t’étonne pas si, en cette fête de ma blancheur immaculée, je t’ai parlé de ma douleur. Pour que ce soit juste, à chaque don de Dieu s’oppose un don de celui qui en a bénéficié. Chaque élection comporte des devoirs terribles et doux à la fois, lesquels deviennent source de joie éternelle quand l’épreuve est terminée.
Au don suprême de la Conception sans tache devait correspondre de ma part celui d’être la Mère du Rédempteur, c’est-à-dire Femme de Douleur. Et le tourment du Golgotha est la couronne posée sur la gloire de ma Conception immaculée.”
Les Cahiers de 1943, 8 décembre