Un jour de sabbat, Jésus était entré dans la maison d’un chef des pharisiens pour y prendre son repas, et ces derniers l’observaient. Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua comment ils choisissaient les premières places, et il leur dit : « Quand quelqu’un t’invite à des noces, ne va pas t’installer à la première place, de peur qu’il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ‘Cède-lui ta place’ ; et, à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t’a invité, il te dira : ‘Mon ami, avance plus haut’, et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, quiconque s’élève sera abaissé ; qui s’abaisse sera élevé. »
(…) Pourquoi voulez-vous vous croire parfaits, vous à qui le sort a donné une haute situation ? Et même si vous l’êtes en quelque chose, pourquoi ne cherchez-vous pas à l’être en tout ? Pourquoi me haïssez-vous parce que je découvre vos plaies ? Je suis le Médecin de votre âme. Est-ce qu’un médecin peut guérir sans mettre à nu et nettoyer les plaies ? Mais ne savez-vous pas que beaucoup – et cette femme qui est sortie est de leur nombre – méritent la première place au banquet de Dieu en dépit de leur piètre apparence ? Ce n’est pas l’extérieur qui a de la valeur, mais le cœur et l’âme. Dieu vous voit du haut de son trône, et il vous juge. Combien il en voit qui valent mieux que vous ! Par conséquent, écoutez-moi :
Prenez toujours comme règle de conduite ceci : quand on vous invite à un banquet de noces, choisissez toujours la dernière place. Il vous en reviendra un double honneur quand le maître vous dira : “ Mon ami, avance ” : honneur de mérite et honneur d’humilité. Alors que… Quel triste moment pour un orgueilleux d’avoir la honte de s’entendre dire : “ Va là-bas, au fond, car il y a quelqu’un de plus important que toi. ” Et faites la même chose dans le banquet secret de votre âme pour les noces avec Dieu. Qui s’abaisse sera élevé, et qui s’élève sera rabaissé. (…)
A 6h ce matin, j’ai eu une vision dont une partie au moins en laissera certains incrédules, mais qui a été pour moi à la fois réconfort et peine.
Je voyais le très haut paradis avec son peuple innombrable de saints, en fête, bienheureux dans la contemplation de Dieu. Ces âmes toutes pures absorbées par la vision de Dieu formaient une foule de lumières de flammes d’amour. Leur visage et leur amour convergeaient en un seul point : la sainte Trinité.
Mais à la limite – pour ainsi dire – du ciel, à l’endroit précis où commençait le Royaume bienheureux, une âme en différait par l’aspect et par l’attitude. Son aspect était d’une blancheur moins éblouissante, un peu plus opaque, je dirais même d’un gris cendre jusque dans sa physionomie, et pourtant ses caractéristiques étaient les mêmes que celles des âmes bienheureuses : des lignes de lumière en forme de visage et de membres. Bien que blanc, son vêtement lui-même n’était pas encore éclatant : c’était de la lumière faite étoffe, comme celle des autres. Cette âme semblait sortir à peine d’un lieu triste et enfumé qui en aurait appesanti le vêtement et assombri la couleur. Son comportement différait lui-aussi de celui des autres. Il était partagé entre le désir d’adorer Dieu et celui de me regarder, d’un regard étrange qui semblait me demander de l’excuser et dire : “Maintenant, je sais”, “je t’aime”, “merci”, “j’étais aveugle mais maintenant je vois.” Je ne sais pas comment dire, un aspect sérieux, presque majestueux et pourtant paisible, serein, un aspect humble et pourtant solennel…
C’était ma mère. Sa ressemblance et son expression, celle des rares moments où elle laissait parler son cœur et sa raison, étaient d’une telle exactitude qu’il m’aurait été impossible de me tromper.
J’ai cherché mon père anxieusement, mais je ne l’ai pas vu. Je pensais pourtant qu’il aurait été en Dieu, plus que Maman… Combien ne l’ai-je pas cherché parmi les visages si nets et reconnaissables des bienheureux ! Ma joie aurait été complète, même si j’étais déjà heureuse d’avoir vu ma mère, pour qui j’ai tant prié durant sa vie et après sa mort.
Je pense – mais j’ignore si je suis dans le vrai – qu’elle vient de sortir de l’expiation ou qu’elle en est juste au seuil, aux confins du purgatoire et du paradis, ce qui explique qu’elle ait moins d’éclat, qu’elle soit moins concentrée sur Dieu que les autres et qu’elle ressente encore quelque besoin de se rappeler la terre ainsi qu’un élan, venu de sa renaissance dans la perfection: celui de me dire maintenant ce qu’elle n’a jamais cru nécessaire de me dire, pas même en son dernier jour, et de réparer tant d’égoïsme fermé sur soi et fier.
Je sais que ceux qui l’ont connue ne croiront pas à une aussi rapide expiation. Mais je suppose que Jésus a voulu me le faire connaître pour que je sois moins désolée. Le seul souvenir de cette vision me rend heureuse, et j’en bénis le Seigneur.
Les Cahiers de 1944, 1er novembre