En ce temps-là, près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui. Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » Il y avait là un récipient plein d’une boisson vinaigrée. On fixa donc une éponge remplie de ce vinaigre à une branche d’hysope, et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « Tout est accompli. » Puis, inclinant la tête, il remit l’esprit. Comme c’était le jour de la Préparation (c’est-à-dire le vendredi), il ne fallait pas laisser les corps en croix durant le sabbat, d’autant plus que ce sabbat était le grand jour de la Pâque. Aussi les Juifs demandèrent à Pilate qu’on enlève les corps après leur avoir brisé les jambes. Les soldats allèrent donc briser les jambes du premier, puis de l’autre homme crucifié avec Jésus. Quand ils arrivèrent à Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais un des soldats avec sa lance lui perça le côté ; et aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau.
(...) Le ciel devient toujours plus sombre. Il est désormais rare que les nuages s’entrouvrent pour laisser passer le soleil. Ils s’amoncellent au contraire en couches de plus en plus épaisses, blanches, verdâtres, ils se surmontent, se démêlent selon les caprices d’un vent froid qui parcourt le ciel par intervalles, puis descend sur la terre, puis se tait de nouveau ; l’air est presque plus sinistre quand il se tait, étouffant et mort, que quand il siffle, coupant et rapide.
La lumière, d’abord vive outre mesure, est en train de devenir blafarde. Les visages prennent des teintes bizarres. Les soldats, sous leurs casques et dans leurs cuirasses d’abord brillantes, mais dorénavant enveloppées dans une lumière glauque sous un ciel de cendre, présentent des profils durs comme s’ils étaient sculptés. Les juifs, en majorité bruns de peau, de cheveux et de barbe, ont l’air de noyés tant leurs visages deviennent terreux. Les femmes ressemblent à des statues de neige bleutée à cause de leur pâleur exsangue que la lumière accentue.
Jésus paraît devenir sinistrement livide, comme s’il commençait à se décomposer, comme s’il était déjà mort. Sa tête commence à retomber sur la poitrine. Les forces lui manquent rapidement. Il tremble malgré la fièvre qui le brûle. Et dans sa faiblesse, il murmure le nom qu’il ne prononçait jusqu’ici qu’au fond de son cœur :
« Maman ! Maman ! »
Il le murmure doucement, comme dans un soupir, comme s’il éprouvait déjà un léger délire qui l’empêche de se retenir autant que sa volonté le voudrait. Et Marie, chaque fois, ne peut s’empêcher de lui tendre les bras comme pour le secourir.
Les gens cruels rient de ce spasme du Mourant et de celle qui le partage. Prêtres et scribes montent de nouveau par derrière les bergers, qui cependant se tiennent sur la plateforme basse. Comme les soldats voudraient les repousser, ils réagissent :
« Ces Galiléens n’y sont-ils pas ? C’est aussi notre place, car il nous faut vérifier que justice est faite complètement, or nous ne pouvons pas voir de loin dans cette lumière étrange. »
En fait, beaucoup commencent à être impressionnés par la lueur qui est en train d’envelopper le monde ; certains même ont peur. Les soldats eux aussi regardent le ciel, car une sorte de cône qui semble de l’ardoise tant il est sombre, s’élève comme un pin derrière un sommet. On pourrait croire à une trombe marine. Il s’élève, s’élève et produit des nuages de plus en plus noirs, comme si c’était un volcan vomissant de la fumée et de la lave.
C’est dans cette lumière crépusculaire et effrayante que Jésus donne Jean à Marie et Marie à Jean. Il penche la tête, car la Mère, pour mieux voir, s’est mise plus près sous la croix, et il lui dit :
« Femme, voici ton fils. Fils, voici ta Mère. »
Marie a le visage encore plus bouleversé après cette parole, le testament de son Jésus, qui n’a rien à donner à sa Mère sinon un homme, lui qui, par amour de l’homme, la prive de l’Homme-Dieu né d’elle. Mais elle, la pauvre Marie, s’efforce de ne pleurer que silencieusement, car elle ne peut pas, elle ne peut pas s’en empêcher… Ses larmes coulent malgré les efforts qu’elle fait pour les retenir, bien que sa bouche garde un sourire déchirant qu’elle fixe sur ses lèvres pour lui, pour le réconforter lui…
Les souffrances ne cessent d’augmenter et la lumière ne cesse de décroître. (...)
[Dialogue entre le Seigneur Jésus et la Très Sainte Marie] :
« Aucun d’entre eux ne comprend… Ce n’est pas leur faute.
C’est Satan qui crée des fumées pour qu’ils ne voient pas et qu’ils soient comme ivres et sourds, et donc non préparés… plus faciles à fléchir…
Mais toi et moi, nous les sauverons malgré les embûches de Satan.
Dès maintenant je te les confie, Mère.
Souviens-toi de ces mots : je te les confie.
Je te donne mon héritage.
Je n’ai rien d’autre sur terre qu’une Mère : elle, je l’offre à Dieu, Hostie avec l’Hostie ; et mon Église : et elle je la confie à toi. Sois pour elle une Nourrice.
Il y a peu de temps, je pensais aux nombreux hommes en qui, au cours des siècles, revivrait l’homme de Kérioth [Judas Iscariote] avec toutes ses tares. Et je pensais que quelqu’un qui ne serait pas Jésus repousserait cet être taré. Mais moi, je ne le repousserai pas. Je suis Jésus.
Toi, pendant le temps que tu resteras sur la terre, sois soumise à Pierre pour ce qui tient à la hiérarchie ecclésiastique, lui comme Chef et toi comme fidèle, mais la première avant tous comme Mère de l’Eglise puisque tu m’as enfanté, moi, le Chef de ce Corps mystique ; toi, ne repousse pas les nombreux Judas. Mais secours-les et apprends à Pierre, à mes frères, à Jean, Jacques, Simon, Philippe, Barthélemy, André, Thomas et Matthieu à ne pas repousser, mais à secourir. Défends-moi dans ceux qui me suivent, et défends-moi contre ceux qui voudront disperser et démembrer l’Eglise naissante.
Et au cours des siècles, Mère, sois toujours celle qui intercède et protège, défend, aide mon Église, mes prêtres et mes fidèles, contre le Mal, contre le châtiment, contre eux-mêmes…
Que de Judas, Mère, au cours des siècles ! Et combien qui ressemblent à des déficients incapables de comprendre, à des aveugles qui ne savent pas voir, à des sourds qui ne savent pas entendre, ou à des estropiés et des paralytiques qui ne savent pas marcher…
Mère, prends-les tous sous ton manteau ! Toi seule peux et pourras changer les décrets de châtiment de l’Éternel pour un ou pour plusieurs. Car la Trinité ne pourra jamais rien refuser à sa Fleur.
– J’agirai ainsi, mon Fils. Pour ce qui dépend de moi, va en paix vers ton but. Ta Mère est ici pour te défendre dans ton Église, toujours.
Jamais je n’aurais cru qu’un commentaire de l’Evangile puisse me toucher autant. Je lis les méditations depuis que vous me les envoyez, avec admiration. Mais celle-là, c’est un sommet. Je vais demander que le texte de Jean 15, 9-17 soit lu à mes obsèques religieuses si c’est possible... lorsque le jour sera venu !