Ce jour-là, le soir venu, Jésus dit à ses disciples : « Passons sur l’autre rive. » Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était, dans la barque, et d’autres barques l’accompagnaient. Survient une violente tempête. Les vagues se jetaient sur la barque, si bien que déjà elle se remplissait. Lui dormait sur le coussin à l’arrière. Les disciples le réveillent et lui disent : « Maître, nous sommes perdus ; cela ne te fait rien ? » Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : « Silence, tais-toi ! » Le vent tomba, et il se fit un grand calme. Jésus leur dit : « Pourquoi êtes-vous si craintifs ? N’avez-vous pas encore la foi ? » Saisis d’une grande crainte, ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
Enseignement de Jésus :
« Je ne te commente pas l’évangile dans le sens où tous le commentent. Je vais t’éclairer ce qui précède le passage de l’évangile.
Pourquoi est-ce que je dormais ? Est-ce que par hasard je ne savais pas que la bourrasque allait arriver ? Si, je le savais. J’étais seul à le savoir. Dans ce cas, pourquoi est-ce que je dormais ?
Les apôtres étaient des hommes, Maria. Animés de bonne volonté, mais encore tellement “ hommes ” ! L’homme se croit toujours capable de tout. Quand, ensuite, il est réellement capable de quoi que ce soit, il est plein de suffisance et d’attachement à son “ savoir faire ”.
Pierre, André, Jacques et Jean étaient de bons pêcheurs, par conséquent ils se croyaient insurpassables dans la manœuvre des bateaux. Quant à moi, j’étais pour eux un grand “ rabbi ”, mais une nullité comme marin. C’est pourquoi ils me jugeaient incapable de les aider et, quand ils montaient dans la barque pour traverser la mer de Galilée, ils me priaient de rester assis parce que je ne pouvais rien faire d’autre. Leur affection y était aussi pour quelque chose, car ils ne voulaient pas m’imposer des fatigues matérielles. Mais l’attachement à leur “ savoir faire ” dépassait encore leur affection.
Je ne m’impose que dans des cas exceptionnels, Maria. Généralement, je vous laisse libres et j’attends. Ce jour-là, j’étais fatigué et on me priait de me reposer, c’est-à-dire de les laisser faire, eux qui étaient si capables. Je me suis donc endormi. Dans mon sommeil, se mêlait aussi cette constatation que l’homme est “ homme ” et qu’il veut agir par lui-même sans se rendre compte que Dieu ne demande qu’à l’aider. En ces “ sourds spirituels ”, en ces “ aveugles spirituels ”, je voyais tous les sourds et aveugles spirituels qui, des siècles durant, iraient à leur ruine pour avoir voulu “ agir par eux-mêmes ”, alors que je suis penché sur leurs besoins en attendant qu’ils m’appellent à l’aide.
Quand Pierre a crié : “ Sauve-nous ! ”, mon amertume est tombée comme un caillou qu’on lâche. Je ne suis pas “ homme ”, je suis l’Homme-Dieu. Je n’agis pas comme vous agissez. Vous, quand quelqu’un a repoussé votre conseil ou votre aide, et que vous le voyez dans l’embarras, même si vous n’êtes pas méchants au point de vous en réjouir, vous l’êtes assez pour rester, dédaigneux, indifférents, à le regarder sans vous émouvoir de son appel à l’aide. Par votre attitude, vous lui faites comprendre : “ Lorsque j’ai voulu t’aider, tu n’as pas voulu ? Maintenant, débrouille-toi. ” Mais moi, je suis Jésus. Je suis le Sauveur. Et je sauve, Maria. Je sauve toujours, dès qu’on m’appelle.
Les pauvres hommes pourraient objecter : “ Alors pourquoi permets-tu aux tempêtes isolées ou généralisées de se former ? ”
Si, par ma puissance, je détruisais le mal, quel qu’il soit, vous arriveriez à vous prendre pour les auteurs du bien qui, en réalité, est un don de ma part, et vous ne vous souviendriez plus jamais de moi. Plus jamais.
Vous avez besoin, mes pauvres enfants, de la souffrance pour vous rappeler que vous avez un Père, comme le fils prodigue qui se rappela qu’il avait un père quand il eut faim. Les malheurs servent à vous persuader de votre néant, de votre déraison, cause de tant d’erreurs, de votre méchanceté, cause de tant de deuils et de douleurs, et de vos fautes, cause de punitions que vous vous infligez à vous-mêmes, tout comme de mon existence, de ma puissance, de ma bonté.
Voilà le message de l’évangile d’aujourd’hui. “ Votre ” évangile de l’heure présente, mes pauvres enfants. Appelez-moi. Jésus ne dort que parce qu’il est angoissé de vous voir sans amour pour lui. Appelez-moi et je viendrai. »
[...] “Le bateau de Pierre, secoué par les vents contraires, prenait l’eau et donnait de la bande. Mes disciples, craignant pour leur vie, se donnaient beaucoup de mal pour redresser le gouvernail, attacher les voiles, jeter l’eau et du lest par-dessus bord, prêts à jeter même les paniers de poissons et les filets pour alléger le bateau et rejoindre la rive.
Les orages étaient fréquents et soudains sur le lac et il n’y avait pas de quoi rire. Je les avais aidés plusieurs fois. Mais ce jour-là, je n’y étais pas. Je n’étais pas matériellement avec eux. Mais mon amour veillait sur eux parce que je veille toujours sur ceux qui m’aiment. Et les disciples avaient peur. Mais – voici le miracle – non appelé, non présent, je vins apaiser les flots et les âmes.
Ma bonté est un miracle continu, ma fille, un miracle sur lequel vous ne réfléchissez pas assez. Quand on vous présente ce point de l’Evangile, on vous fait remarquer le pouvoir de la foi. Mais pourquoi ne vous fait-on pas observer ma bonté, qui devance vos besoins de disciples et vient à votre rencontre en marchant au milieu des flots orageux ?
Ma bonté est plus grande que l’Univers, que le besoin et la douleur ; et elle est plus vigilante que toute intelligence humaine. Elle a ses racines dans l’amour paternel de Dieu, ma bonté. Pourquoi ne venez-vous pas à elle, pourquoi n’y croyez-vous pas aveuglément, pourquoi ne puisez-vous pas à son infinité ?
Je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles. Je suis l’Esprit de Dieu fait chair. Je connais les besoins de la chair, je connais les besoins de l’esprit et j’ai la puissance de Dieu pour vous aider à satisfaire vos besoins, comme j’ai l’amour qui me pousse à vouloir vous aider. Car je suis Un avec le Père et avec l’Esprit, avec le Père dont je procède et avec l’Esprit par lequel je devins chair, et du Père j’ai la puissance, et de l’Esprit j’ai la charité.”
Les Cahiers de 1943, 25 juillet