« Jugez par vous-mêmes ce qui est juste »
(Lc 12, 54-59)
En ce temps-là, Jésus disait aux foules : « Quand vous voyez un nuage monter au couchant, vous dites aussitôt qu’il va pleuvoir, et c’est ce qui arrive. Et quand vous voyez souffler le vent du sud, vous dites qu’il fera une chaleur torride, et cela arrive. Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment-ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? Et pourquoi aussi ne jugez-vous pas par vous-mêmes ce qui est juste ? Ainsi, quand tu vas avec ton adversaire devant le magistrat, pendant que tu es en chemin mets tout en œuvre pour t’arranger avec lui, afin d’éviter qu’il ne te traîne devant le juge, que le juge ne te livre à l’huissier, et que l’huissier ne te jette en prison. Je te le dis : tu n’en sortiras pas avant d’avoir payé jusqu’au dernier centime. »
(…) Le chef de la synagogue se lève de nouveau, patriarcal, splendide comme un Moïse avec ses cheveux blancs, et s’écrie :
« Cédès est une ville de refuge et une ville lévitique. Respectez…
– Ce sont de vieilles histoires ! Cela ne compte plus !
– Oh ! Langues blasphématrices ! C’est vous qui êtes des pécheurs et pas lui, et moi je le défends. Lui, il ne dit rien de mal. Il explique les prophètes et nous apporte la Bonne Nouvelle, mais vous, vous l’interrompez, vous le tentez, vous l’offensez. Je ne le permets pas. Il est sous la protection du vieux Matthias de la descendance de Lévi par son père, et d’Aaron par sa mère. Sortez et laissez-le instruire ma vieillesse et l’âge mûr de mes fils. »
Et il pose sa main rugueuse sur l’avant-bras de Jésus, comme pour le défendre.
« Qu’il nous donne un vrai signe et nous partirons convaincus, crient les ennemis.
– Ne te fâche pas, Matthias. Je vais parler » dit Jésus en calmant le vieillard.
Et il s’adresse aux pharisiens, aux sadducéens et aux docteurs :
« Quand vient le soir, vous scrutez le ciel et, s’il rougit au crépuscule, vous dites, d’après un vieux dicton : “ Demain, le temps sera beau car le crépuscule rougit le ciel. ” De même à l’aube, quand, dans l’air obscurci par le brouillard et les vapeurs, le soleil ne s’annonce pas couleur d’or, mais paraît étendre du sang sur le firmament, vous dites : “ La journée ne se passera pas sans tempête. ” Vous savez donc lire le temps du lendemain ou de la journée dans les signes instables du ciel et ceux encore plus changeants des vents. Et vous n’arrivez pas à distinguer les signes des temps ? Cela n’honore pas votre intelligence et votre science, et déshonore complètement votre esprit et votre prétendue sagesse. Vous appartenez à une génération perverse et adultère, née en Israël du mariage de ceux qui se sont souillés avec le Mal. Vous en êtes les héritiers et vous accroissez votre perversité et aggravez votre adultère en répétant le péché de ceux qui ont engendré cette erreur. Eh bien ! Sache-le, Matthias, sachez-le, habitants de Cédès et tous ceux qui sont ici comme fidèles ou comme ennemis. Voici la prophétie que, moi, je dis pour remplacer celle d’Habacuc que je voulais expliquer : à cette génération perverse et adultère qui demande un signe, il ne sera donné que celui de Jonas… Allons. Que la paix soit avec les hommes de bonne volonté. »
Et, par une porte latérale qui ouvre sur un chemin silencieux entre jardins et maisons, il s’éloigne avec les apôtres. (…)
“Ce fut un soulagement pour ma Mère de voir que j’avais cessé de souffrir dans la chair, mais ce ne fut pas l’‘allégresse’. Elle voyait que la chair du Fils ne souffrait plus, elle savait que l’horreur du déicide matériel était terminée.
Mais la Femme ‘Pleine de Grâce’ avait aussi la connaissance des siècles à venir où d’innombrables humains continueraient de blesser spirituellement son Fils, et elle était seule.
Le déicide ne s’est pas terminé sur le Golgotha à l’heure de ma mort. Il se répète chaque fois qu’un de ceux que j’ai rachetés tue son âme, profane le temple vivant de son esprit, soulève son esprit sacrilège à blasphémer contre moi, non seulement par ses propos obscènes, mais par ces mille modes de vie actuels, toujours plus contraires à ma Loi et qui neutralisent toujours plus les mérites incalculables de ma passion et de ma mort.
Marie, la sublime Co-Rédemptrice, ne cesse de souffrir, comme je ne cesse moi-même de le faire. Dans la gloire intangible des Cieux, nous souffrons pour ceux qui nous renient et nous offensent.
Marie est l’éternelle accouchée qui vous donne le jour avec une douleur incomparable, car elle sait que cette douleur n’engendre pas des bienheureux pour le Ciel, mais, pour la majorité, des damnés pour l’Enfer. Elle sait qu’elle engendre des créatures mortes ou destinées à mourir sous peu. Mortes, car mon Sang ne réussit pas à pénétrer dans certaines âmes, comme si elles étaient faites d’un jaspe très dur: elles se tuent dès leur plus jeune âge. Ou, destinées à mourir sous peu, c’est-à-dire celles qui, après une ombre de vitalité chrétienne, succombent à leur propre inertie que rien ne parvient à secouer.
Marie peut-elle ne pas souffrir de voir périr ses créatures qui ont coûté le sang du Fils ? Le Sang versé pour tous et qui n’est utile qu’à un si petit nombre!
Quand le temps cessera d’exister, alors Marie cessera de souffrir, car le nombre des bienheureux sera complet. Elle aura engendré, avec d’inénarrables douleurs, le corps qui ne meurt pas, dont son Premier-né est la tête.
Si vous considérez cela, vous comprendrez sans doute que la douleur de Marie fut la douleur suprême. Vous comprendrez que – grande dans sa Conception immaculée, grande dans sa glorieuse Assomption – Marie fut très grande dans le cycle de ma passion, c’est-à-dire du soir de la dernière Cène à l’aube de la Résurrection. Alors elle fut, en ordre et en puissance, le second Christ, et pendant que le ciel s’obscurcissait sur la tragédie accomplie et que le voile du Temple se déchirait, nos cœurs se déchiraient d’une égale blessure en voyant le nombre incommensurable de ceux pour qui la Passion fut inutile.
Tout était accompli, en cette heure, du sacrifice matériel ; tout restait à commencer par rapport au cheminement des peuples dans le sillage de l’Eglise, dans la matrice de la Vierge Mère, pour donner le jour aux habitants de la Jérusalem qui ne meurt pas. Et pour commencer avec l’empreinte de la Croix que doit porter tout ce qui est fait pour le Ciel, cela commença dans la douleur de la solitude.
C’était l’heure des ténèbres. Les Cieux fermés. L'Éternel absent. Le Fils dans la mort. Marie commençait seule sa deuxième conception mystique.”