Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
(...) Le ciel devient toujours plus sombre. Il est désormais rare que les nuages s’entrouvrent pour laisser passer le soleil. Ils s’amoncellent au contraire en couches de plus en plus épaisses, blanches, verdâtres, ils se surmontent, se démêlent selon les caprices d’un vent froid qui parcourt le ciel par intervalles, puis descend sur la terre, puis se tait de nouveau ; l’air est presque plus sinistre quand il se tait, étouffant et mort, que quand il siffle, coupant et rapide.
La lumière, d’abord vive outre mesure, est en train de devenir blafarde. Les visages prennent des teintes bizarres. Les soldats, sous leurs casques et dans leurs cuirasses d’abord brillantes, mais dorénavant enveloppées dans une lumière glauque sous un ciel de cendre, présentent des profils durs comme s’ils étaient sculptés. Les juifs, en majorité bruns de peau, de cheveux et de barbe, ont l’air de noyés tant leurs visages deviennent terreux. Les femmes ressemblent à des statues de neige bleutée à cause de leur pâleur exsangue que la lumière accentue.
Jésus paraît devenir sinistrement livide, comme s’il commençait à se décomposer, comme s’il était déjà mort. Sa tête commence à retomber sur la poitrine. Les forces lui manquent rapidement. Il tremble malgré la fièvre qui le brûle. Et dans sa faiblesse, il murmure le nom qu’il ne prononçait jusqu’ici qu’au fond de son cœur :
« Maman ! Maman ! »
Il le murmure doucement, comme dans un soupir, comme s’il éprouvait déjà un léger délire qui l’empêche de se retenir autant que sa volonté le voudrait. Et Marie, chaque fois, ne peut s’empêcher de lui tendre les bras comme pour le secourir.
Les gens cruels rient de ce spasme du Mourant et de celle qui le partage. Prêtres et scribes montent de nouveau par derrière les bergers, qui cependant se tiennent sur la plateforme basse. Comme les soldats voudraient les repousser, ils réagissent :
« Ces Galiléens n’y sont-ils pas ? C’est aussi notre place, car il nous faut vérifier que justice est faite complètement, or nous ne pouvons pas voir de loin dans cette lumière étrange. »
En fait, beaucoup commencent à être impressionnés par la lueur qui est en train d’envelopper le monde ; certains même ont peur. Les soldats eux aussi regardent le ciel, car une sorte de cône qui semble de l’ardoise tant il est sombre, s’élève comme un pin derrière un sommet. On pourrait croire à une trombe marine. Il s’élève, s’élève et produit des nuages de plus en plus noirs, comme si c’était un volcan vomissant de la fumée et de la lave.
C’est dans cette lumière crépusculaire et effrayante que Jésus donne Jean à Marie et Marie à Jean. Il penche la tête, car la Mère, pour mieux voir, s’est mise plus près sous la croix, et il lui dit :
« Femme, voici ton fils. Fils, voici ta Mère. »
Marie a le visage encore plus bouleversé après cette parole, le testament de son Jésus, qui n’a rien à donner à sa Mère sinon un homme, lui qui, par amour de l’homme, la prive de l’Homme-Dieu né d’elle. Mais elle, la pauvre Marie s’efforce de ne pleurer que silencieusement, car elle ne peut pas, elle ne peut pas s’en empêcher… Ses larmes coulent malgré les efforts qu’elle fait pour les retenir, bien que sa bouche garde un sourire déchirant qu’elle fixe sur ses lèvres pour lui, pour le réconforter lui…
Les souffrances ne cessent d’augmenter et la lumière ne cesse de décroître. (…)