En ce temps-là, une discussion survint entre les disciples pour savoir qui, parmi eux, était le plus grand. Mais Jésus, sachant quelle discussion occupait leur cœur, prit un enfant, le plaça à côté de lui et leur dit : « Celui qui accueille en mon nom cet enfant, il m’accueille, moi. Et celui qui m’accueille accueille celui qui m’a envoyé. En effet, le plus petit d’entre vous tous, c’est celui-là qui est grand. » Jean, l’un des Douze, dit à Jésus : « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser des démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il ne marche pas à ta suite avec nous. » Jésus lui répondit : « Ne l’en empêchez pas : qui n’est pas contre vous est pour vous. »
(…) Jésus s’est arrêté devant une petite maison modeste, avec un puits devant. Il va ensuite s’asseoir près du puits et c’est là que le rejoignent les disciples, qui sont encore en train de mesurer leurs prérogatives respectives.
Jésus les regarde, puis il les appelle :
« Venez autour de moi, et écoutez le dernier enseignement de la journée, vous qui célébrez sans cesse vos mérites et pensez à vous adjuger une place en rapport avec eux. Vous voyez cet enfant ? Il est dans la vérité plus que vous. Son innocence lui donne les clés pour ouvrir les portes de mon Royaume. Lui, il a compris, dans sa simplicité de tout petit, que c’est dans l’amour que se trouve la force de devenir grand et dans l’obéissance par amour celle d’entrer dans mon Royaume. Soyez simples, humbles, aimants d’un amour qui ne soit pas à mon égard seulement, mais que vous partagiez entre vous, obéissant à mes paroles, à toutes, même à celles-ci, si vous voulez arriver là où entreront ces innocents. Apprenez auprès des petits. Le Père leur révèle la vérité comme il ne la révèle pas aux sages. »
Jésus parle en tenant Benjamin debout contre ses genoux et il garde ses mains sur ses épaules. A ce moment, le visage de Jésus est plein de majesté. Il est sérieux, pas courroucé, mais sérieux. C’est vraiment le Maître. Le dernier rayon de soleil nimbe sa tête blonde. (…)
Jésus dit :
“Je veux te parler de la prudence humaine.
La prudence surnaturelle est une grande vertu. Mais la prudence humaine n’est pas une vertu. Vous les humains avez appliqué ce nom, telle une étiquette erronée, à des sentiments impropres et non vertueux, tout comme vous appelez charité l’obole que vous donnez au pauvre.
Mais si vous faites une aumône, même considérable, et si vous la faites pour être remarqués et applaudis du monde, croyez-vous faire un acte de charité ? Non. Détrompez-vous. Charité veut dire amour. La charité, c’est donc d’avoir pitié et amour pour tous les nécessiteux de la terre. L’argent n’est pas nécessaire pour faire un acte de charité. Un conseil, un mot de réconfort, de douceur, un geste d’aide matérielle, une prière sont de la charité. Une aumône faite sans aucune délicatesse, laquelle humilie le pauvre en qui vous ne savez pas me voir n’est pas charité.
C’est la même chose pour la prudence. Vous appelez prudence votre lâcheté, votre envie de vivre tranquillement, votre égoïsme, trois choses qui ne sont certainement pas des vertus.
Même dans vos rapports avec la religion, vous aimez votre petite vie tranquille. Quand vous savez qu’une franche profession de foi, qu’une expression, dite telle que vous la chuchote l’Esprit de vérité, peut choquer les autorités, les employeurs, mari, enfants, parents, ceux dont vous attendez des appuis matériels, votre prudence humaine vous renferme dans un silence qui n’est pas prudent mais pusillanime, s’il n’est pas coupable, car vous arrivez à nier, à renier, en vous parjurant, vos sentiments les plus spirituels.
Pierre fut le premier qui, par prudence humaine, en vint à nier me connaître à l’heure du danger. Je permis que cela arrive, pour que, une fois repenti, il pût compatir et pardonner aux frères et sœurs pusillanimes. Mais que de ‘Pierres’ depuis ce jour-là ! Vous avez toujours à l’esprit quelqu’intérêt mesquin : vous le faites passer en premier et vous le défendez au détriment de l’intérêt éternel que vous vaudrait la courageuse vérité courageusement professée.
Devant certaines manifestations de Dieu, vous, pauvres humains, n’avez pas le courage de Nicodème et de Joseph, lesquels surent, à une heure terrible pour le Nazaréen et ses disciples, penser à moi, contre l’opposition de toute la ville de Jérusalem, et offrir leur collaboration. Toi-même parfois, tu restes un peu en suspens face à certaines de mes expressions que tu voudrais rendre moins tranchantes.
La prudence humaine vous guide. Vous l’apportez partout, jusque dans les évêchés, jusque dans les couvents. Que vous êtes différents des premiers chrétiens qui ne tenaient compte de rien qui fût humain et qui ne regardaient qu’au Ciel !
Il est vrai que je vous ai dit d’être prudents comme des serpents, mais non d’une prudence humaine. Je vous ai dit également que pour me suivre il faut de l’audace contre tout et tous, contre l’amour propre, contre le pouvoir lorsqu’il vous persécute parce que vous êtes mes disciples; contre le père, la mère, l’épouse, les enfants quand ceux-ci, par affection humaine et préoccupation terrestre, veulent vous empêcher de suivre ma voie. Car une seule chose est nécessaire : sauver son âme, même s’il faut perdre la vie de la chair pour obtenir la vie éternelle."
Les Cahiers de 1943, 14 juin